Biographie | Goritz, Max de, Mayer, alias. Aventurier et littérateur, ce collaborateur de Dumas reste un personnage mystérieux. Seul Philibert Audebrand nous informe sur ce héros picaresque “à la parole lente, souvent alourdie par un accent tudesque”, qui était “de taille moyenne, robuste, nerveux, énergique. De petites moustaches d’un blond cendré ombrageaient sa lèvre supérieure, assez grosse, et tranchaient sur la pâleur mate de son visage.” (Alexandre Dumas à la Maison d’or). Dumas l’avait ramené de Bruxelles. L’étranger s’était présenté un matin boulevard de Waterloo comme un noble hongrois qui, ayant pris les armes lors de la dernière insurrection, avait vu ses biens sequestrés et sa vie menacée. Il était proscrit et sans le sou. Il vivait avec une jeune femme, à la tournure de grisette, qui se donnait pour la fille du sieur de Richemont, lequel prétendait n’être autre que Louis XVII sauvé du Temple. D’après Audebrand, Dumas aurait accepté la fable et aurait décrété Goritz son « traducteur ordinaire ».
Max de Goritz hantait les bureaux du Mousquetaire à la Maison d’Or, toujours inquiet, se disant poursuivi par la police politique. Il habitait la rue Neuve-des-Martyrs, dans un intérieur assez misérable. Toujours en quête d’expédients (il vend à Mirès le manuscrit d’œuvres déjà publiées dans Le Mousquetaire), il finit par s’enfuir. Ce n’est pas la police politique, mais la police criminelle qui le recherche: Max de Goritz n’est autre qu’“un aventurier allemand, un sémite du nom de Mayer, un aigrefin” dont les méfaits vont du vol simple au vol avec effraction et qui ne reculerait pas devant l’assassinat. Il aurait continué dans sa fuite ses escroqueries.
Il faut confronter le témoignage tardif d’Audebrand (1888) à des documents plus précis. À quelle date peut-on situer l’intrusion de Goritz (ou plutôt Mayer) au 73, boulevard de Waterloo? À la mi-janvier 1853, puisque le 20 janvier, Dumas écrit à Auguste Neffzer, le gérant de La Presse: “Je vous écris à la suite de Mr Mayer non pour vous le recommander puisqu’il est votre ami, mais pour vous faire toutes nos tendresses. Cependant laissez-moi vous dire que ce serait une très bonne chose à vous que de créer ici une occupation à Mr Mayer. Je ne crois pas que mon nom ait la moindre influence sur Girardin, cependant au besoin usez-en.”( Archives nationales, 113 AP 1).
La lettre de Mayer à Nefftzer disait: “Je me suis présenté à Mr Dumas qui m’a fait un accueil dont je ne saurai peindre la gracieuse bienveillance, et ce, sans me connaître, me recommandant seulement de votre nom [...] Que le patron consente à me charger d’une correspondance.”
Mayer était-il comme le futur directeur de la Revue germanique originaire de Colmar? Quoi qu’il en soit, on peut affirmer que Dumas n’a jamais été dupe ni de l’identité falsifiée ni de la figure de proscrit politique que se donnait le faux aristocrate magyar. Pourquoi a-t-il laissé ses collaborateurs du Mousquetaire dans l’ignorance au risque de les abuser? Par générosité, peut-être. Audebrand écrit aussi que la pseudo comtesse était jolie.
Se recommandant verbalement d’Auguste Nefftzer, Mayer avait sans doute également usurpé quelque peu la recommandation; la réponse de Nefftzer dut détromper Dumas: “Merci mon cher Nefftzer de vos bons renseignements. Comme il ne faut pas laisser mourir de faim même les pécheurs, j’ai déjà pourvu pour Mr Mayer à l’absolu nécessaire. Mais je ne puis pas le soutenir longtemps. Vous avouerez que d’autres sont plus méritants.Voyez donc si vous pouvez en tirer parti, il meurt, dit-il, de faim.” (Archives départementales de l’Aisne, 1106-2).
Nefftzer ne pouvant pas, ou ne désirant pas, tirer parti de Mayer, c’est Dumas lui-même qui le met au travail: il connaît l’allemand, il traduira des œuvres allemandes peu connues que Dumas adaptera. En contre-partie, il assurera la matérielle: “50 f. aux pauvres Goritz”, note-t-il dans le post-scriptum d’une de ses lettres à sa fille Marie (BnF, n.a.fr. 14669, f. 128, 12 octobre 1853). [....] À partir de janvier 1853 jusqu’au départ de Dumas pour Paris, Mayer séjourne donc à Bruxelles; ensuite, il rejoindra son protecteur pour participer à l’aventure quotidienne du Mousquetaire. Audebrand mentionne parmi les ouvrages traduits par Goritz La Conscience et “deux romans d’Auguste Lafontaine qui ont été l’année d’après publiés dans Le Pays.”[Catherine Blum et Le Pasteur d’Ashbourn]. Il faut étendre pour le théâtre la collaboration au Marbrier, à La Veillée allemande et peut-être à La Femme sans amour.
Pendant les premiers mois du Mousquetaire, Mayer, devenu Max de Goritz, traduit essentiellement les contes satiriques de l’humoriste Saphir que Dumas avait rencontré à Bruxelles en août 1853: Le Livre de la vie et son censeur (5-8 février 1854), Réflexions mondaines d’un hanneton (9 février), L’Homme et les années de la vie (11 février), Histoire merveilleuse d’un homme qui passe en revue les feuilles de son album (12-19 février, 22-23 février), L’Homme d’expérience (14 février), Les Étoiles commis-voyageurs (1er-3 mars). Il se consacre aussi à des nouvelles d’Oswald Tiedemann: La Pâle fiancée (22 novembre-3 décembre 1853), La Ferme maudite (6-1” décembre) ainsi qu’à un roman de Charles Spindler L’Hôtel de la Rose d’Or (20-22 décembre).
Soudain, la collaboration s’arrête. Audebrand nous l’a dit: recherché pour vol, Mayer est en fuite, il est même bientôt arrêté. Dumas en avertit sa fille:
“Goritz a fui, comme tu sais, mais Goritz a été arrêté, on le ramène à Paris – escorté pour plus de sûreté, à ce qu’il paraît, de deux gendarmes.
Tu ne ferais pas mal, chérie, de te mettre à la recherche des lettres qui m’ont été écrites par lui et d’en faire une liasse que tu m’enverrais.”(BnF, n.a.fr. 14669, f. 242).
Par ailleurs, Noël Parfait écrit à son frères Charles:
“Je t’appendrai, si cela peut t’être agréable que M. le comte Max de Goritz, devenu le factotum de Dumas à Paris, surpris deux fois en train d’alléger le porte-monnaie du maître, convaincu de vingt autres canailleries, mais resté néanmoins attaché au Mousquetaire avec deux cent cinquante francs d’appointements par mois! Vient, enfin, pour un méfait qui, cette fois, ne concerne plus Dumas, d’être appréhendé au corps par la gendarmerie, et conduit à Mazas avec les égards et les menottes qui lui sont dus. Et voilà de quels hommes est entouré là-bas ce pauvre grand niais de tant d’esprit!” (Copie, Bibliothèque municipale de Chartres, N.A. 253/8/4).
Extrait de: Claude Schopp, L'Exil et la mémoire. Alexandre Dumas à Bruxelles, 1852-1853. Thèse d'Etat sous la direction de M. Claude Pichois. Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1986 (microfilm 86.12.3052 Lille-thèses), p. 414-418.
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